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    12. DIEU, L’AFRIQUE ET LE MAL

    12. DIEU, L’AFRIQUE ET LE MAL

    Mafa Georges ASSEU

    Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY (Côte d’Ivoire)

    amageo12@yahoo.fr

    Résumé

    La pensabilité de Dieu induit de manière principielle, une réflexion qui s’articule selon une logique du Bien. Cette pensée sur Dieu, pose par-delà l’humanisme, les fondements d’un attachement à la prévenance et au caractère débonnaire du Divin. Du coup, toute personne, d’où qu’elle vienne, où qu’elle se trouve, est susceptible de manifester naturellement un besoin de protection, d’assistance vis-à-vis d’un Dieu, maître du temps, de l’espace et de l’histoire. L’Afrique se présente à la vérité, comme le continent où le regain de la croyance en Dieu se laisse percevoir de manière ostensible. Tout part de l’idée que face au mal et aux difficultés de la vie, l’homme ne pourrait trouver sa consolation, sa réalisation et son assurance qu’en se réfugiant en Dieu. Mais le constat est que le continent et ses habitants sont le plus en mal d’existence. La vie en Afrique est pensée sous le signe de la déficience, de la précarité, de l’anomie, de la guerre, de l’instabilité institutionnelle, de la malnutrition, etc. Si l’Afrique se présente aux yeux des autres espaces géographiques comme une figure de l’Ailleurs, c’est justement parce que l’apocalypse est vécu sous l’ordre de plusieurs catégories. Pourquoi malgré un regard tout tourné vers l’horizon de la transcendance, l’Afrique apparaît-elle comme un lieu si pauvre d’existence ? Dieu aurait-il abandonné l’Afrique ? La persistance du mal serait-elle l’expression d’une situation géographique inconfortable ou le fait d’un refus d’assumation d’un rôle historique par les Africains eux-mêmes ?

    Mots clés : Afrique, Dieu, Devenir, Histoire, Mal, Résilience.

    Abstract

    The thoughtfulness of God leads mainly to a reflection that is articulated according to the logic of the Good. This thought on God sets beyond humanism, the foundations of an attachment to the thoughtfulness and the debonair character of the Divine. As a result, any person, wherever he or she comes from, is likely to naturally manifest a need for protection, for assistance from a God, master of time, space, and history. Africa presents itself as the continent where the revival of belief in God can be perceived in an ostensible way. Everything starts from the idea that in face of evil and the difficulties of life, man could only find consolation, fulfilment, and assurance by taking refuge in God. But the observation is that the continent and its inhabitants are most in need of existence. Life in Africa is thought to be under the sign of deficiency, precariousness, anomie, war, institutional instability, malnutrition, etc. The reason why Africa appears to the eyes of other geographical spaces as a figure of the Elsewhere is precise because the apocalypse is lived under the order of several categories. Why is it that Africa, in spite of a gaze turned towards the horizon of transcendence, appears as a place so poor in existence? Would God have abandoned Africa? Would the persistence of evil be the expression of an uncomfortable geographical situation or the fact of a refusal to assume a historical role by the Africans themselves?

     

    Keywords: Africa, God, becoming, History, Evil, Resilience

    Introduction

    La proximité que les Africains par leurs différents cultes manifestent vis-à-vis de Dieu, a donné lieu à la mise en contexte des conditions de précarité qu’ils connaissent sur le continent. Cette situation est rendue incompréhensible et suscite même des interrogations sans nombre. Car aux yeux de certaines personnes, Dieu, par son caractère débonnaire, ne pourrait pas permettre qu’un peuple qui lui voue une attention particulière, puisse connaître une pauvre existence. Nous sommes ainsi conduits par la problématique suivante : Dieu peut-il être tenu pour responsable de la situation de sous-développement de l’Afrique ? Nous partons de l’hypothèse que la relation à Dieu n’a pas en soi un rapport direct avec le développement ou le sous- développement. Autrement dit, les hommes sont d’abord et avant tout, ceux qui portent la responsabilité du devenir de leur pays. Notre objectif est de montrer que l’Afrique ne peut sortir de sa situation de mal-vivre que par ses propres dispositions mentales et intellectuelles. Nous ferons usage dans cette réflexion de la méthode critique. Ce travail se subdivise en trois moments. Le premier moment se pose sous la forme d’une interrogation. Il est intitulé : L’Afrique, espace d’un mal-être ? Le deuxième moment a pour titre, Comprendre la question du mal en son versant principal. Le troisième moment est intitulé : Le devenir, une capacité destinale.

    1. L’Afrique, espace d’un mal-être ?

    1.1. La figure d’un paradoxe

    L’Afrique est aussi bien le berceau de l’humanité que l’espace dont le sous-sol est pourvu de nombreuses richesses minières et énergétiques. Ainsi selon Jean Ziegler (1980, p. 21) « l’Afrique est aussi le continent qui possède les dépôts les plus étendus de minerais stratégiques (cobalt, uranium, manganèse, etc.) et de minerais précieux (or, argent, diamant) ». En matière d’énergie d’origine hydraulique, l’Afrique possède les 2/3 de la production mondiale. L’uranium, le zinc, le plomb, l’argent, les minerais de fer, la bauxite, constituent entre autres, la fierté du continent. La présence de forêts constitue une zone d’élection pour la possibilité qu’elle donne « à l’installation d’une industrie variée du bois, avec ses produits dérivés (alcool méthylique, acétone, goudron, dérivés cycliques qui pourront servir de matière première de synthèse à une industrie de colorants) ; des industries de pâte à papier, de tissus artificiels à partir de la cellulose, de matières plastiques, etc., seront également créées à partir de la forêt » (Cheikh Anta Diop, 1974, p. 75-76).

    L’Afrique porte l’image d’un passé riche qui fait d’elle, une grande figure dans l’histoire de l’humanité. À travers l’Égypte pharaonique, elle se présente comme la grande civilisation d’où viendront s’éclairer les autres peuples. L’Égypte porte le témoignage de nombreux Occidentaux en l’occurrence les Grecs y ayant séjourné pour des études dans tous les domaines de la science.

    De tous les autres continents, l’Afrique est cette région du monde qui porte le fardeau d’une société qui serait condamnée à une pauvre existence. C’est le lieu de la déficience, de la précarité, des guerres, de la paupérisation, de l’anomie, de l’instabilité institutionnelle, etc. Quand nous disons Afrique, nous disons également ce qui ou celui qui réfère à l’Afrique : l’Africain, le Noir qui est porté par l’idéologie kamite ou kamitique de la malédiction historique d’un des fils de Noé à l’exception de Sem et Japhet. Comme on peut l’entendre à travers la Bible (Genèse 9, 18-27) :

    Sem, Cham et Japhet étaient les fils de Noé qui sortirent de l’arche ; Cham, c’est le père de Canaan. Ce furent les trois fils de Noé, c’est à partir d’eux que toute la terre fut peuplée. Noé fut le premier agriculteur. Il planta une vigne et en but le vin, s’enivra et se trouva nu à l’intérieur de sa tente. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père et il en informa ses deux frères au dehors. Sem et Japhet prit le manteau de Noé qu’ils placèrent sur leurs épaules à tous deux et, marchant à reculons, ils couvrirent la nudité de leur père. Tournés de l’autre côté, ils ne virent pas la nudité de leur père. Lorsque Noé ayant cuvé son vin, sut ce qu’avait fait son plus jeune fils, il s’écria : maudit sois Canaan, qu’il soit le dernier des serviteurs de ses frères ! Puis il dit : Béni soit le Seigneur, le Dieu de Sem, que Canaan en soit le serviteur ! Que Dieu séduise Japhet, qu’il demeure dans les tentes de Sem, et que Canaan soit leur serviteur !

    Des trois enfants de Noé, Cham serait celui qui fut établi comme l’ancêtre des Africains. L’Afrique porte en effet la figure de la caractérisation. Tout se passe comme s’il y a une figure suprématiste à partir de laquelle tous les autres peuples sont jugés. L’on se trouve ainsi dans la ligne de réflexion de ce qu’on peut appeler la biographie subjectiviste. Cette historicité tragique trouve son fondement dans quatre siècles d’esclavage et une colonisation aux allures prédatrices. Engelbert Mveng (1996, préface) énonce à cet effet ce qui suit :

    Et l’Afrique ? L’Afrique est bien malade, coincée entre les griffes implacables de ces structures de péché qui emprisonnent le monde où nous vivons, sous la loi du marché de dupes où les riches seront toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres.

    Comment alors pouvons-nous dans cette concaténation interroger la place de Dieu face au mal qui est en pleine extension en Afrique ?

    1.2. L’écriture d’un mal-être

    L’esclavage et la colonisation ont créé une véritable déstructuration de la personnalité africaine. L’Africain se retrouve dans un état qui lui fait perdre toute dignité, parce que réduit à un état d’indigence. L’héritage culturel dont il jouissait de manière pleine et entière va être délaissé. Sa réflexion qui naguère était portée sur la victoire de la vie sur la mort, va connaître un chamboulement. C’est ce qui explique le sens de la pensée d’Engelbert Mveng portant sur la pauvreté anthropologique. L’homme est dépouillé de son essence, de son identité, de sa dignité et de tout ce qu’il possède comme droits fondamentaux. Ici, le point originaire de l’anthropologie que veut établir Mveng, c’est la victoire de la vie sur la mort, du bien sur le mal, de l’amour sur la haine.

    Il donne à penser que les colons ont exercé une main mise sur le continent non seulement par leur présence physique, mais également par leurs relais locaux dès leur départ. Des drapeaux qui, en apparence étaient hissés tout haut et étaient le signe de la victoire dès les indépendances, ont donné d’autres significations dangereuses : la souffrance des populations, la violence, la corruption, le régionalisme, le rattrapage ethnique, la folie des grandeurs, etc. Ainsi des détenteurs du pouvoir dans leur rôle de sangsues dépossèdent les populations de leurs droits. À ce propos, Abou Karamoko (2021, p. 36) écrit :

    Ces messieurs, détourneurs de fonds et dilapideurs de deniers publics qui, en si peu de temps, ont bâti des fortunes, construit de somptueuses et super-luxueuses villa, vivent dans l’opulence et dans la plus parfaite insouciance ; ces dirigeants africains qui se font passer pour des progressistes mais qui disposent de comptes bancaires bien garnis à Genève et dans d’autres grandes capitales européennes, alors que, dans la majorité des cas, ils sortent de milieux humbles, très pauvres parfois et que l’on reconnaît les salaires de la fonction publique.

    Au plan économique, le continent n’offre pas une image reluisante malgré les richesses minières et énergétiques dont elle est pourvue. Le niveau élevé de la dette, de la corruption et la volatilité accrue des capitaux constituent le frein à un véritable épanouissement. Le continent reste par ailleurs dépendant de l’Occident parce qu’il ne possède pas encore les moyens susceptibles de lui garantir une véritable politique de responsabilité.

    Au plan social, la misère, la paupérisation, l’accroissement des inégalités sociales, l’insuffisance des structures d’accueil, le niveau élevé de l’inflation, constituent un véritable goulot d’étranglement. Les sociétés qui naguère étaient séculairement reconnues pour leur générosité et leur solidarité, sont en perte de leur capacité et de leur qualité.

    De ce qui précède, l’on peut bien comprendre que l’Afrique fait face à toutes sortes de précarité. Cette situation plombe tous les efforts entrepris dans le sens du développement. Se pose également, l’idée de Dieu. Mais cette idée ne serait-elle pas antithétique au mal ?

    2. Comprendre la question du mal en son versant principal

    2.1. L’angle d’une antinomie ?

    La pensabilité de Dieu pose par-delà l’humanisme, les fondements d’un attachement à la prévenance et au caractère débonnaire du divin. Du coup, toute personne d’où qu’elle vienne, où qu’elle se trouve, manifeste naturellement un besoin de protection, d’assistance vis-à-vis d’un Dieu maître du temps, de l’espace et de l’histoire. Au regard de cette réflexion un certain nombre d’interrogations nous habitent : pourquoi Dieu a-t-il fait les hommes de différentes couleurs ? S’il est l’expression de la perfection et que les Hommes sont à son image, pourquoi a-t-il fait des pauvres et des riches ? La thèse d’un Dieu blanc est-elle avérée ? Pourquoi le noir en tant que couleur porte-t-il l’idéologie du funeste, de la mélancolie, de la tristesse etc. Pourquoi le noir a-t-il pour domaine d’appartenance l’Afrique ? Si Dieu est Amour, pourquoi le mal est-il si présent en Afrique ?

    Ces questionnements, comme l’on peut le constater, sont d’une importance parce qu’ils portent à penser à la situation de l’Afrique qui est loin d’une embellie. La question de Dieu n’est pas gratuite parce que les conditionnements politiques, économiques, idéologiques et socio-culturels le rendent présent dans le quotidien de l’homme. Des prières lui sont adressées dans des espaces en proie à la foi. Jean-Claude Angoula (2016, p. 118) pense que « la foi en Dieu et le débat qu’il suscite reflètent toujours la situation d’une époque. En Afrique, ils ont des connexions multiples ».  L’on comprend bien qu’il ne saurait exister de rupture entre foi en Dieu et le quotidien existentiel des hommes. C’est le chemin qu’emprunte Ela dans sa nouvelle posture heuristique invitant à repenser la théologie africaine. Pour lui, il s’agit de s’affranchir de la théologie impériale et coloniale dont la figure se manifeste dans l’héritage gréco-romain et scholastique. Ce qui importe, c’est de prêcher un Évangile proche des réalités africaines. Il écrit (2003, p. 27),

    En ce sens, l’herméneutique devient le défi, voire l’horizon de la théologie africaine : nouvelle méthode, nouveaux paradigmes, nouveaux outils, des instruments opératoires, des cadres d’intelligibilité bien définis, des grilles de lectures appropriées et congruentes pour approfondir le sens de l’Évangile en Afrique.

    Il faut se défaire d’une théologie qui n’a aucun rapport avec la vie des Africains. Nous sommes ainsi dans une posture antinomique, parce que le discours évangélique ne rencontre pas des personnes susceptibles de l’accueillir et de l’intérioriser en vue de leur bien-être. Voilà qui justifie le mouvement qui aide à sortir de la figure de l’amorphe et du défaitisme. Le bonheur, la justice que Dieu propose est-il vraiment ce qui est porté au goût du jour ? L’homme politique n’est-il pas celui qui confond ses préoccupations avec celles du peuple ? En réalité, l’énoncé sur Dieu est souvent objet d’utilisation politicienne. Quand le peuple prie pour se défaire des rets d’un dictateur, ce dernier à son tour, se donne les moyens de marquer son attachement à Dieu pour assurer la pérennité de son pouvoir. Dans un tel schéma, il donne l’impression qu’il serait le seul à être choisi pour gouverner le pays. Dans ce sens, « l’incapacité à vivre selon les lois de sa religion est liée à l’incapacité à penser aux intérêts des gouvernés ». (Jean-Claude Angoula 2016, p. 119). Or la vérité, la justice et la générosité qui caractérisent Dieu, donne véritablement à penser. Suivons à ce sujet, cette réflexion de T. Boa (2003, p. 57),

    En regardant les réalités africaines de la vie de justice et de liberté que l’Évangile propose, J.-M. Ela constate que l’Afrique est très loin de cet idéal. Il y a une cassure fondamentale entre le royaume de Dieu, dont l’homme africain doit avoir un avant-goût ici-bas et son quotidien. Le nœud de ses réflexions sur la nécessité de se mettre du côté de ceux qui souffrent, part de ce que lui donne l’Évangile : un éclairage permettant de déceler ce qui ne va pas entre ce que Dieu propose à l’Homme et la façon dont la société africaine se construit.

    Il n’y a donc pas à penser dans le sens où un Dieu bon aurait créé un monde africain mauvais en proie à toutes sortes de souffrance. Il n’a pas créé de peuple parfait. De la même manière, il n’y a pas un Dieu blanc. Aucun peuple n’a été voué à une quelconque condamnation.

    2.2. Sens d’une mise en questionnement face au mal

    Le rapport de l’Afrique et des Africains à Dieu un rapport de proximité. Cette proximité avec Dieu se conçoit sous le rapport des Africains au christianisme, à l’Islam, et à l’animisme. Les Mosquées et les Églises remplies de leurs fidèles, manifestent leur présence active en plusieurs coins des rues des capitales africaines. Face à son Dieu, le moi montre et établit sa petitesse dans un questionnement en lequel il cherche et recherche une assurance face aux difficultés qui assaillent sa vie. Les demandes et les supplications à Dieu dans ces lieux de prière des villes, les campagnes sont légion. Du côté des animistes également, tous les déploiements allant de la victoire sur les angoisses existentielles à la recherche d’une sécurité métaphysique sont de plus en plus fréquents.

    Le besoin de croire chez l’Africain renverrait à une détermination naturelle qui conduit à penser que la vie n’aurait aucun sens sans cette véritable assomption vers la transcendance. L’idée de l’origine du monde et de l’homme, ainsi que celle de la raison présente en l’homme, ne peuvent être tenues pour insignifiantes parce qu’elles posent la question du premier moteur qui relève d’une préoccupation métaphysique. Cela pourrait se comprendre par l’antinomie qui existe entre ce qui se pense comme plus haut, jouissant des qualités de la transcendance et ce qui se pense comme plus bas. Ici, le plus haut, renvoie à Dieu. À cette hauteur qu’est la transcendance, se réfère l’idée du bien qui étend sa senteur sur sa créature et qui permet au monde de s’ordonner. C’est à cette hauteur que renvoie de manière symbolique la station bipédique de l’homme telle une invitation d’assumation de la dignité de sa nature. La hauteur, c’est l’excellence qui se laisse percevoir pour enrichir en vue de combler l’être. Et comme le dit K. Dibi (2018, p. 78),

    La hauteur n’appartient pas à l’élément du spatialement parcourable. Elle renvoie à l’au-delà, à ce qui n’a pas de lieu assignable comme tel. Celui qui se trouve en haut s’y trouve au prix de l’effort consistant à mourir à l’immédiat, à se surmonter soi-même, à vaincre sans cesse la pesanteur afin de ne pas tomber dans la vie des choses. Il s’y trouve en réalisant en lui-même une transcendance par rapport à ce qui l’entoure, afin de ne pas être enchaîné à une vie qui est expansion de soi dans l’horizontalité. Sous cet aspect, la hauteur renvoie à ce en regard de quoi tout le reste est petit, à ce qui est grand au-delà de toute comparaison. Elle renvoie à ce à quoi rien ne se peut comparer.

    L’on comprend à partir de ce qui précède, que la hauteur se pense comme ce qui permet de réaliser le bien, l’ordre, harmonie, la générosité. Cela nous renvoie à l’idée que quelque chose nous dépasse, nous surpasse et nous fait être parce qu’elle a tout droit de préséance sur nous. Cette chose est la plus profonde parce qu’elle est extérieure à nous. La hauteur est dans ce sens à penser comme ce qui pourrait permettre de réaliser ou de construire un monde épanouissant où le sens de l’humain pourrait être tenu ferme. L’on pourrait être guidé par la question suivante : le mal peut-il provenir de ce qui est bien et tout le bien ?

    Lorsque nous parlons du mal, et qu’il est fondamentalement, c’est qu’un certain nombre de situations existentielles fait échec à notre désir de lumière. Le mal est et sa réalité ne peut être niée. L’on pourrait même dire que le mal existe tout comme existe le bien. Mais ici, quand l’on accepte benoîtement l’existence du bien, le mal est pourfendu parce qu’il fait mal. La guerre, la faim, le sous-développement, la paupérisation, montrent que le mal est présent sous plusieurs rubriques en Afrique. Or l’idée qui apparait, c’est la manifestation d’une relation entre Dieu, l’Afrique et les Africains. Pour certains, si Dieu est le vivier du bien, il devrait par son caractère débonnaire, sortir les Africains de la misère, du mal car ils lui sont fortement attachés par les prières et autres pratiques. Au regard de la pauvre existence observable, Dieu aurait-il fermé ses oreilles aux Africains ? Dieu peut-il être tenu pour responsable de la situation de misère à laquelle l’Afrique fait face ?

    Le mal est, et n’est fondamentalement orienté contre personne. Sa réalité est indiscutable. Mais si nous posons cette réalité en termes d’une piètre existence en une enceinte ou en un lieu quelconque, il ne peut être indéfiniment pensé comme un obstacle rédhibitoire. Autrement dit, nul n’est éternellement condamné à une pauvre existence. Dans ce sens, dire ou penser que Dieu aurait une préférence particulière vis-à-vis de certains de ses enfants, et une indifférence vis-à-vis d’autres, ce serait se méprendre. C’est par l’effort personnelle que chaque peuple est porté à se hisser de l’avant. Il n’y a pas de peuple parfait, il n’y a pas de couleur de référence, ni de couleur supérieur du point de vue de la caractériologie ontologique. C’est en cela que notre thèse est orientée contre cette réflexion de F. Eboussi-Boulaga (1991, p. 124),

    Dieu, pour s’exprimer ou s’incarner ne peut choisir que ce qu’il y a de plus parfait sur terre et ce qu’il assume, il la porte à l’absolu, il le divinise. Cela est vrai de la couleur mais cela est encore plus vrai des traits psychologiques et spirituels. Il y a entre Dieu et les blancs une connivence et une solidarité naturelle, que créent les liens du sang, de la culture et une communauté de destin.

    Pour Eboussi-Boulaga, il existerait un rapport de préférence entre Dieu et le Blanc. Le dire, c’est penser qu’il y aurait un peuple privilégié et d’autres qui ne le seraient pas. L’un serait appelé à connaître le bonheur, et les autres seraient appelés à une piètre existence. À la vérité, Il n’y a pas de peuple qui soit condamné à la misère ou à vivre le mal. De la même manière, croire en Dieu ou ne pas croire en lui, relève d’une question personnelle. Il n’y a pas en soi de rapport de causalité entre la foi et le développement. Le rapport à Dieu relève d’une pratique culturelle qui a le sens d’une valeur. Or, aucune valeur n’est en soi négative pour l’homme. La polarité positive ou négative est fonction de l’usage qu’on en fait. C’est pour cette raison que la mise en relation de Dieu avec le développement relève d’un choix propre à chaque peuple. Chaque peuple est résolument appelé au travail pour construire son devenir avec liberté et de manière responsable. Autrement dit, la présence du mal et de la souffrance conduit l’homme non seulement à se penser comme être libre et responsable, mais également qu’il est et demeure une créature de Dieu.

    Contrairement à ce que l’on pourrait penser, La précarité et la misère économique grandissante sont aussi présentes en certains endroits en Occident. La souffrance existe en Occident et dans toutes les contrées de la terre. C’est dire que le mal n’est pas présent qu’en Afrique. Si l’Occident est parvenu par ses efforts à réduire le niveau de souffrance pour se hisser au niveau où elle est actuellement, c’est dire que l’Afrique est aussi capable de ce dépassement. Le niveau de développement que connaît l’Europe n’est aucunement lié à une attention particulière qui serait le fait de Dieu. L’on peut également dire que le développement n’est pas foncièrement lié au rapport de l’homme à Dieu.

    L’Africain a aujourd’hui une conscience hétéronome parce qu’humiliée par les années tragiques des déterminations historiques. Réduit à un état d’impuissance et d’indigence, il a été dépouillé de tout ce qu’il avait et de tout ce qu’il était et de tout ce qu’il faisait. C’est ce qu’Engelbert Mveng appelle la paupérisation anthropologique. Cette figure de la paupérisation des Afrique est ostensible de nos jours.

    La mise en contexte politique, sociale et économique de l’Afrique se justifie par la proximité que celle-ci manifeste avec Dieu. Pour certaines personnes, un tel attachement ne saurait autoriser les sinuosités et les contradictions d’un tel conditionnement. Au regard de cela, il y a lieu de comprendre que le rapport au développement n’a pas de rapport direct avec la proximité avec Dieu. Le progrès se perçoit dans la capacité des hommes et des femmes à orienter leur devenir vers des chemins de vie.

    3. Le devenir, une capacite destinale

    3.1. Pour l’assumation d’un rôle historique

    Les rapports de l’Africain au monde, à l’Afrique et avec les autres, ne peuvent être pensés sous un angle réductionniste. Ses interactions avec son monde, la nature et son propre être ont plusieurs dimensions de profondeur. Ces mondes peuvent être : le monde ancien et le monde nouveau, le monde traditionnel et le monde moderne, le monde visible et le monde invisible, le monde rationnel et le monde mythique. Les relations qu’un Africain est porté à entretenir avec ces mondes, ne sont pas en soi plus favorisant ou plus handicapant que celles que viendrait à entretenir un Asiatique dans son univers propre.  C’est dire que la croyance en Dieu fait partie de l’univers mental et intellectuel et culturel des hommes.

    Notre monde a besoin dans son mouvement de se laisser guider par cette intentionnalité divine qui aide à s’affranchir de tous les miasmes rendant lourdes ses ailes. Cela est encore valable pour l’Afrique qui cherche et recherche un positionnement. Croire en Dieu, c’est le lieu où une vie finie s’offre à une vie infinie. La figure que présente l’Afrique laisse poindre l’urgence de se présenter sous un signe qui est susceptible de la positionner et l’ordonner à ce qui est véritablement nourrissant et essentiel pour la vie. L’exemple le plus éloquent est celui du Japon qui a su tirer parti de sa relation à la spiritualité ou à Dieu avec l’implication du confucianisme, du shintoïsme et du bouddhisme. Ce tout harmonieux

    a créé une dynamique et structuré toute la société et l’économie japonaise qui sont aujourd’hui… caractérisées par une asymétrie étatique c’est-à-dire un ordre social dans lequel l’enfant cultive à outrance l’esprit de compétition et l’agressivité…,tandis que l’adulte, pour sa part, cultive un esprit de coopération, d’harmonie, voire de totale soumission à l’ordre et à la hiérarchie, et ce en premier lieu dans le cadre de l’entreprise (Xavier Dupuis, 1991, p. 42).

    Or Parler de l’Africain, c’est plonger dans les sources du bassin nilotique, c’est-à-dire aller à une origine qui remonte à l’Antiquité égyptienne. Ce moment historique constitue l’époque de grands savants ayant conduit l’histoire de toute l’humanité.  C’est un moment de haute spiritualité. Ainsi par exemple, « avec l’apparition du demiurge, Ra, la cosmogonie égyptienne prend une nouvelle direction par l’introduction d’une composante idéaliste : Ra achève la création par le verbe (religion judéo-chrétienne, islam), par le Logos (Héraclite), par l’esprit idéalisme objectif de Hegel) ». (Cheikh Anta Diop, 1981, p. 389)

    La construction ou le développement de l’Afrique ne peut se passer d’une connexion avec Dieu. Cela pourrait conduire à polir les relations dans le sens de l’établissement d’une dynamique basée sur la convivialité, l’harmonie, la solidarité, la générosité, l’esprit d’initiative. Récuser tout mouvement qui conduirait à l’injustice, au tribalisme, c’est s’ouvrir au catéchisme d’un monde ouvert à toutes les compétences. La relation à Dieu est cela même qui viendrait à transfigurer tout dans notre entourage. Un développement qui s’entreprendrait sans Dieu signifierait en substance, faire place aux manifestations d’un monde repu de soi. Or dans ces conditions, comment parvenir à canaliser de telles forces, si la foi en Dieu est pensée comme une chose périmée ?

    Cela montre tout le sens de l’implication de Dieu. Donner une place prééminente à Dieu, c’est faire comprendre par des actes que la pauvreté-misère en Afrique, défigure en l’homme, l’image de Dieu. Il s’agit dans cette optique, d’opérer un renversement qui invite à restaurer l’image de l’Africain. J-M Ela écrit à ce sujet (1993, p.68), « la foi qui parle à l’Africain d’aujourd’hui est celle qui le rejoint dans tous les mouvements de refus de l’injustice et de l’oppression, à travers des actes concrets où il s’engage pour la reconquête et la possession de soi ».

    Le progrès et le développement en Afrique ne peuvent pas se passer de Dieu parce que son implication apparaît comme la substance qui nourrit tout mouvement d’édification. Se sentir en dette d’être, c’est demeurer dans l’état qui conduit à comprendre que tout en nous prend son sens que par l’infini. C’est de là que va toute assurance ontologique. Le rapport à Dieu n’a pas le sens d’un enfermement, il n’est pas à inscrire dans un monde clos. Il est ouvert et en tant que tel, il est éclairant.

    3.2. Penser la Résilience

    L’Afrique ne peut et ne doit se laisser aller à l’immédiateté. Face à toutes les formes de traumatismes, de contradictions et de sinuosités, elle doit se donner les moyens d’en sortir. Comprendre que le malaise existentiel n’est pas un moment insurmontable, c’est dans un certain sens, s’ouvrir le début de l’embellie. Et dans cette optique, une mise en action par le travail requiert toute sa signification. Car l’Afrique doit se donner l’occasion de sortir de la misère et de la pauvreté, en un mot du sous-développement. Nkrumah et Cheikh Anta Diop pour avoir bien compris le sens de cette mission prométhéenne, ont appelé à l’unité de toutes les forces et de toutes les intelligences. Diop y ajoute la compétence qui selon lui, doit être inscrite au cœur des vertus des Africains. Il estime à ce propos que

    le chercheur africain n’a pas le droit de faire l’économie d’une formation technique suffisante qui lui ouvre l’accès aux débats scientifiques les plus élevés de notre temps où se scelle l’avenir culturel de son pays. Aucune arrogance ou désinvolture pseudo-révolutionnaire, aucun gauchisme, rien ne saurait dispenser de cet effort. (C. A. Diop, 1973, Préface).

    Les richesses du sous-sol bien que constituant un acquis ne saurait être suffisant. Car les matières premières en elles-mêmes et par elles de manière exclusive, n’ont jamais pu développer un pays. La démographie et les capitaux ne sont également pas des conditions premières indispensables dans l’amorce du développement. Il faut y adjoindre la science, le pouvoir gnoséologique et immatériel. La notion de la société de confiance forgée par Alain Peyrefitte tient là, toute sa signification. Selon lui, le décollage économique s’explique moins par les conditions plantureuses du sol, du sous-sol, du climat que par la mentalité ou le comportement. Ce facteur surclasse les facteurs matériels. C’est ce que Alain Peyrefitte (1995, p. 29) appelle « Le tiers facteur immatériel ».

    Le tiers facteur immatériel désigne un ensemble de dispositions mentales susceptibles d’activer en nous, toutes les positivités qui conduisent à une véritable assomption. Ce sont les traces de ce tiers facteur immatériel que l’Africain doit rattacher à son être pour la gestion de la société. Que vaut une personne si elle n’est pas capable d’activer en elle, cette force intelligible de l’action conquérante ?

    Les maux qui plombent le développement de l’Afrique et qui ont entre autres, pour noms : boulimie du pouvoir, régionalisme, arrivisme, prévarication, paupérisation, misère, guerre, doivent connaître un véritable coup-d’arrêt par cette consciente éthique qu’est susceptible de créer le tiers facteur immatériel.

    L’Afrique et les Africains sont appelés à quitter l’âge immature pour enfiler la toge de responsabilité, du réquisit moral et de l’action libératrice concrète. C’est en réalité une révolution mentale qu’il lui faut opérer. Il importe dans ce sens, de fonder sa vie sur des valeurs afin d’agir sur cette base principielle. C’est à partir de là, que pourrait se bâtir l’ethos de confiance.

    Conclusion

    Le rapport de l’homme au développement est un rapport d’expression de liberté et de détermination de soi par soi, de soi aux autres et au monde. L’on pourrait dans ce sens dire qu’il n’y a pas en soi un rapport de causalité entre le développement et la proximité avec Dieu.  Mais dans un autre sens, le rapport du sujet africain à Dieu devrait être vécu et senti comme cela qui pourrait nous affranchir de toute existence insouciante. Faire place à un monde où s’expriment la socialité, l’amour, l’éthique de la générosité, tel doit être le rêve de chaque Africain. En somme, les différentes formes du rapport à Dieu des Africains, doivent être vécues comme un trésor de liberté qu’il est appelé à orienter vers des chemins de vie. Qui dit chemins de vie, doit penser à la fondation de dispositions mentales qui en elles-mêmes, génèrent une société de confiance. À ce sujet, l’Africain est appelé non pas à se détourner de sa responsabilité, mais à assumer son destin, son présent et son futur dans la fierté, la vigilance intellectuelle et dans une capacité de résilience.

    Références bibliographiques

    ANGOULA Jean-Claude, 2016, « Quand Dieu se fait politique. Contribution à l’étude des représentations de Dieu dans l’espace public en Afrique » in Benoît Awazi Mbambi Kungua, Dieu et l’Afrique. Une approche prophétique, émancipatrice et pluridisciplinaire, paris, L’Harmattan.

    BOA Thiémélé, 2003, L’Ivoirité entre culture et politique, Paris, L’Harmattan.

    DIBI Kouadio Augustin, 2018, « La dignité comme hauteur de l’homme » in Politiques de la Dignité, Actes du Colloque international, Abidjan Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Nouvelles Éditions Balafons.

    DIOP Cheikh Anta, 1974, Les Fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire, Paris, Présence africaine.

    DIOP Cheikh Anta, 1981, Civilisation ou Barbarie. Anthropologie sans complaisance, Paris, Présence africaine.

    DIOP Cheikh Anta, Préface à OBENGA Théophile, 1973, l’Afrique dans L’Antiquité, Paris, Présence africaine.

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    EBOUSSI-BOULAGA Fabien, 1991, À contretemps. L’enjeu de Dieu en Afrique, Paris, Karthala.

    ELA Jean-Marc, 1993, Le cri de l’homme africain, Paris, L’Harmattan.

    ELA Jean-Marc, 2003, Repenser la théorie africaine. Le Dieu qui libère, Paris, Karthala.

    KARAMOKO Abou, 2021, État africain, violence et théorie critique, Paris, L’Harmattan.

    MVENG Engelbert, 1996, Théologie, libération et cultures africaines, Clé /Essai/Présence africaine.

    PEYREFITTE Alain, 1995, Du Miracle en économie, Paris, Odile Jacob.

    ZIEGLER Jean, 1980, Main basse sur l’Afrique. La recolonisation, Paris, Seuil.

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